S1, E3 – Chronique d’un petit quotidien en classe : Pierre
Ce matin, en arrivant à l’école, Pierre est particulièrement dynamique. Comme tous les jours, il est arrivé 10 minutes avant le début des cours afin de lui permettre de se défouler un peu en courant et en interpellant le surveillant.e. et/ou ses camarades à son gré.
La cloche sonne : pas moyen de le faire mettre en rang. Pierre continue à virevolter dans la cour et répéter « j’veux pas ». La journée commence bien…
C’est exactement ce genre de comportement (et d’autres) qui avait conduit l’année précédente, au final, à son évincement du cursus ordinaire. La conclusion était qu’il serait bien mieux dans le secteur du spécialisé où, a-t-on expliqué aux parents un peu désarçonnés, on avait l’habitude de ce genre d’enfants.
Bon : à part le fait que je ne sais pas de quoi on parle lorsqu’on dit « ce genre d’enfants », à aucun endroit je n’ai lu dans les rapports pédagogiques qu’on m’a transmis les éventuelles mesures prises pour aider Pierre dans cette première grande transition de la journée.
Je reviendrai dans un prochain épisode sur les moultes raisons qui peuvent expliquer le comportement de Pierre et les stratégies qu’il est possible de mettre en œuvre pour l’aider.
Une question me taraude: pourquoi la réaction, en moins d’une année d’intervalle, a-t-elle été différente entre gens de la même profession ? Impossible de garder Pierre dans un système scolaire ordinaire pour les uns, possible pour les autres.
A mon sens, c’est avant tout une question de représentation de la différence, donc de formation et ensuite de juste distribution des ressources dans une école. Je pense que tous les enseignant.e.s ont à cœur d’exercer leur métier avec empathie et sens de l’ouverture. Ce n’est pas vrai que les enseignant.e.s de l’ordinaire sont réfractaires à la scolarisation de tous les élèves dans un cursus régulier. Ce qu’ils expriment souvent c’est le fait de ne pas se sentir « capables ». Or, les capacités s’acquièrent facilement dans le cadre de formations et surtout sur le terrain, guidés par des enseigant.e.s spécialisés en autisme œuvrant en milieu régulier.
On parle souvent de « empowerment » des parents et c’est juste ! Ici il s’agit de faire la même chose : de l’« empowerment » pour les professionnels travaillant dans le milieu scolaire ordinaire.
Mes collègues du non spécialisé n’imaginent pas qu’ils ont en réalité déjà tout ce qu’il faut pour aider les élèves comme Pierre. Ce qui leur manque, c’est d’en prendre conscience ! Bien sûr, il y a des stratégies, des outils, des astuces, etc… d’ailleurs utiles pour tout le groupe-classe, mais le secret réside surtout dans la compréhension de la condition autistique et de connaître L’ELEVE qui en face de soi.
Je dis souvent que la pédagogie est un « art », alors oui, elle fait partie des « sciences de l’éducation », mais dans sa pratique, elle est un art. Toute œuvre d’art se fonde sur des connaissances très précises, des techniques, des principes, mais elle laisse aussi l’espace à la créativité et à la liberté. C’est ce qu’il faut, à mon sens, transmettre et partager dans les formations.
Par ailleurs, il ne suffit pas que les enseignant.e.s soient formé.e.s, il faut encore que les ressources humaines soient bien distribuées et organisées. Une école inclusive se dote d’un personnel inclusif. Faut-il encore s’entendre sur ce dernier vocable. Un personnel inclusif suppose la possibilité de mobiliser des ressources spécialisées en cas de besoin.
Réfléchir « mobile » plutôt que « figé »… C’est tout un concept déjà existant dans d’autres pays et ayant fait ses preuves. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?
Ainsi, pour revenir à Pierre… ce matin-là, au-delà des raisons pour lesquelles il a refusé de venir tout de suite en classe, la simple présence d’une aide à l’intégration sur place qui a pu être mobilisée et qui a agi en sachant quoi faire et comment le faire a permis à Pierre, même si avec un décalage de 15 minutes, de rejoindre ses camarades et de faire le reste de la journée sans difficultés particulières.
Un miracle ? Une exception ? Non : simplement une ressource humaine formée et disponible pour Pierre à ce moment-là précis… Le reste de la journée, cette même personne-ressource a pu aider d’autres élèves.
Alors oui : cela suppose de la flexibilité dans le système, de la mobilité… Mais ce n’est pas la « faute » de l’élève, c’est souvent le système qui manque de souplesse.
Dans le prochain épisode, nous allons plonger dans les raisons qui peuvent expliquer les difficultés que Pierre a connues ce matin-là pour rentrer tout de suite en classe…et vous verrez que l’analyse que nous propose l’approche TEACCH a été d’un précieux secours.
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